Francesco Spampinato, Art vs. TV, A Brief History of Contemporary Artists’ Response to Television, New York: Bloomsbury Academic, 2021, 353pp.; 105 b&w ills.; £95.00;
ISNB : 9 781 501 370 571
Mots clés : télévision, vidéo, médias.
Art vs. TV, A Brief History of Contemporary Artists’ Responses to Television de Francesco Spampinato explore la question des utilisations artistiques de la télévision dans le monde occidental, des années 1920 à nos jours. Ce manuel se distingue d’abord par son analyse d’un sujet trop souvent confondu avec celui de l’art vidéo, alors que, comme l’affirme Spampinato, « c’est le corps, plus que la vidéo [en elle-même], qui est utilisé par les artistes vidéo comme un médium en tant que tel » (p.8). La particularité de cet ouvrage tient cependant surtout à l’approche résolument critique choisie par l’auteur. Pour Spampinato, le médium télévisuel est en effet l’outil de la transition entre les sociétés disciplinaires modernes décrites par Michel Foucault et les sociétés de contrôle contemporaines et néolibérales, analysées par Gilles Deleuze. Reprenant certains des grands thèmes de la pensée critique (la fantasmagorie, la théâtralité et l’effondrement des distances sous le coup de l’éveil des technologies de télécommunication), Spampinato décrit d’emblée le spectacle télévisuel comme une forme irrémédiable d’« endoctrinement physique » (p.2). Selon cette logique, « tout commentaire artistique sur la télévision » serait ainsi un défi à cette « nature coercitive » (p.4) du médium, une résistance à son pouvoir, soit par l’appropriation, soit par la parodie. L’objectif principal de ce recueil est ainsi de présenter des œuvres d’art dotées d’un « pouvoir réactionnaire » (reactionary power), en lutte contre le « statu quo » de la télévision (p.15).
Le cadre critique choisi par Spampinato n’est pas sans soulever plusieurs questions. On peut d’abord s’interroger sur son applicabilité à certaines des œuvres discutées dans l’ouvrage, notamment dans le chapitre quatre où l’on trouve une analyse du talk-show avant-gardiste TV Party (1978-1982) de Glenn O’Brien, ainsi qu’un passage sur les programmes télévisés d’Andy Warhol. L’attitude ambivalente de Warhol envers la télévision est peut être ici interprétée un peu trop hâtivement à la lumière de l’argument principal du livre, alors même qu’elle pourrait tout autant être décrite en des termes que Spampinato emploie lui-même, quelques pages plus loin, lorsqu’il discute des projets artistiques télévisuels produits dans les années 2000 et 2010 ; projets dans lesquels « l’art est de plus en plus lié au divertissement [et] dans lesquels il est devenu de plus en plus difficile de saisir [une] dimension critique » (p.264). L’un des enjeux principaux du livre tient précisément au positionnement de l’auteur face à ces ambiguïtés récurrentes de l’art contemporain face aux médias. La cohérence du propos appelle naturellement Spampinato à défendre une conception autonomiste de l’art qui envisage la différence entre la télévision et ses explorations artistiques à travers le développement par ces dernières d’une « certaine impulsion métalinguistique » (p.261), ou l’analyse du contexte d’énonciation. La valeur de ces idées sémiotiques et institutionnelles (à la Danto et Dickie) pour l’étude de certaines des œuvres les plus récentes peine par instants à convaincre le lecteur, notamment dans les derniers chapitres de l’ouvrage. L’ironie que Spampinato décrit comme caractéristique des utilisations artistiques de la télévision fait en effet désormais partie du langage vernaculaire des médias sociaux. La nature décontextualisante des médias numériques tend de plus a créé un climat de mépris envers le contexte chez les spectateurs (ce que les études contemporaines des médias nomment un agnosticisme de plateforme) qui complique quelque peu les tentatives de distinguer l’art du divertissement selon des critères exclusivement contextuels. À rebours de l’intention affichée de Spampinato, son systématisme critique pousse ainsi le lecteur à s’interroger sur le fait qu’à l’ère de la convergence médiatique à partir de laquelle le livre jette un regard rétrospectif sur les histoires croisées de l’art et de la télévision, certains thèmes critiques hérités des années 1960 et 1970 ont peut-être perdu de leur pertinence à l’ère numérique.
Le propos est principalement centré sur les contenus télévisuels (programmes, émissions…) de sorte que le thème central de l’ouvrage est surtout l’analyse des interactions entre les artistes et l’industrie télévisuelle. On peut ainsi regretter le fait que ce choix laisse de côté toute l’histoire des expérimentations avec les technologies télécommunicationnelles, des manipulations de l’image télévisuelle à l’art télématique des années 1970-1980. Les éclairantes synthèses de l’activisme des courants de la Guerrilla Television que donne Spampinato et les nombreux parallèles critiques entre les anciens et nouveaux médias qu’il propose ouvrent néanmoins de nombreuses pistes d’analyses pertinentes, au premier rang desquels figure l’hypothèse d’une porosité entre le numérique et le télévisuel qui fait toute l’originalité de cet ouvrage.
Pierre J. Pernuit (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)